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Dépravation, scandale et mauvaise réputation : le cocktail détonnant des décadents drilles de la Happy Valley

 

 

Entre les années 1920 et 1940, dans le centre-ouest du Kenya, un groupe de nobles et d’aventuriers britanniques et anglo-saxons installés dans la vallée Wanjohi, près de la chaîne de montagnes Aberdare, a défrayé la chronique. Leur crime ? Bien avant les hippies et leur goût immodéré pour la drogue à la fin des années 1960, ou la révolution sexuelle de la décennie suivante, ces colons ont vécu sans vergogne sous l’emprise du sexe et de substances illicites en tout genre, choquant leurs voisins, grands bourgeois et autres bons pères de famille, qui croyaient encore aux vertus de la morale. Leur credo ? La dépravation sous toutes ses formes. Celle qu’ils pratiquaient gaiement sur ce territoire surnommé « Happy Valley ».

L’Angleterre à la mode kenyane

Depuis 1888, le Kenya faisait partie de l’empire britannique. La société occidentale occupant ce pays avant la Seconde Guerre mondiale était composée de colons d’un côté, et de représentants du gouvernement britannique et d’hommes d’affaires de l’autre. Nyeri, petite ville située à l’est des montagnes Aberdare, avec son atmosphère de petit village typiquement anglais et son grand calme, avait attiré bon nombre de sujets de sa Majesté. Les Britanniques y avaient même droit à une forme de brume et un air bien frais au petit matin, qui leur rappelait sans nul doute le Vieux Continent. C’est dans cette ville que les membres les plus actifs de la Happy Valley s’étaient installés.

Le scandale pour profession

Comment expliquer ce phénomène ? Était-ce le trop-plein de soleil ? L’ennui d’une vie de riche ? L’envie de se différencier ? Cherchez la femme… Lady Idina Sackville — ici représentée par un tableau de William Orpen, de 1915 — était l’une des figures les plus fameuses de ce groupe d’hédonistes, censée même être à l’origine de sa naissance. Cousine de la poétesse Vita Sackville-West, elle commença sa carrière de scandaleuse professionnelle en choquant la haute société britannique : elle divorça en 1919 de son premier mari, Euan Wallace, renonçant ainsi au droit de revoir ses deux petits garçons.

Une femme sous emprise

Avec son deuxième mari, le capitaine Charles Gordon, Idina Sackville s’installa au Kenya. À la faveur d’un voyage en Angleterre, elle prit un amant, Josslyn Hay, vingt-deuxième comte d’Errol, de huit ans son cadet. Totalement sous l’emprise de « Joss », Idina finit par quitter son deuxième époux pour ce dernier. Adeptes de l’amour libre, ils regagnèrent le Kenya en 1924, y attirant leurs amis, dont Alice de Janzé, une riche héritière américaine, et accessoirement maîtresse régulière de Josslyn, et son mari, Frédéric de Janzé.

Orgies, substances toxiques et alcool à gogo

Disciple de l’échangisme, Idina commença à organiser des soirées qui auraient sans doute beaucoup plu à notre DSK national et qui font probablement rêver tous les Dodo-la-saumure du monde ! L’alcool y coulait à flots et les substances illicites disparaissaient rapidement dans les narines ou les veines des convives. Il régnait une atmosphère sulfureuse où le travestissement avait aussi toute sa place. Idina aimait notamment recevoir ses invités nue dans son bain, puis s’habiller tranquillement en leur présence. Histoire sans doute de bien démarrer la soirée ! Ce style de vie quelque peu dépravé eut cependant raison de son union avec Josslyn, qui finit par la quitter pour une autre. Ils divorcèrent en 1929, restant cependant en bons termes. Idina continua une bonne dizaine d’années durant à organiser des orgies, auxquelles son ex-mari prit joyeusement part. Elle se remaria deux fois avant de mourir en 1955.

Revolver et prison

Pour sa part, Alice de Janzé, qui entretenait toujours son aventure avec Josslyn, tomba amoureuse en 1927 d’un nouveau venu au Kenya, le Britannique Raymond de Trafford. Très épris l’un de l’autre, les amants effectuèrent un voyage à Paris. Était-ce l’atmosphère trépidante du « gay Paree » ? Toujours est-il qu’ils décidèrent de quitter leurs époux et épouse respectifs. Alice rompit effectivement avec Frédéric, mais Raymond tomba de haut quand il apprit qu’il ne pourrait pas divorcer, ses parents menaçant de ne plus lui verser son allocation ! Pauvre petit garçon riche… Prise de rage, Alice tira sur son amant et retourna l’arme contre elle dans une gare parisienne. Le couple s’en sortit indemne. Emprisonnée un temps à la prison des femmes de Saint Lazare, l’héritière fut condamnée à une amende de… 4 dollars.

Suicide réussi

Alice reprit le chemin du Kenya en 1928, mais seule, Raymond étant rentré au bercail. Mais c’était sans compter sur sa mauvaise réputation, qui lui valut d’être déclarée persona non grata au Kenya. Heureusement, les années passent et on oublie ! Après un très bref mariage avec Raymond de Trafford en 1932, Alice de Janzé se réinstalla en Afrique, réintégrant une place de choix au sein de la Happy Valley. Dépressive, alcoolique et totalement accro à la morphine, l’Américaine traîna son spleen au gré des soirées de son acolyte Idina, jusqu’en 1941, quand enfin, elle réussit son suicide.

Quand la blonde rencontre l’étalon

L’issue fatale du mariage peu orthodoxe d’Idina et de Josslyn n’avait en effet pas mis fin aux folles nuits des noceurs de la Happy Valley ! Don Juan notoire, Josslyn Hay, même remarié à une divorcée, Molly Ramsay-Hill, continua à courir la gueuse sans répit. Ses anciennes maîtresses ne se lassaient pas de lui et lui non plus ne se lassait pas de cette basse-cour en chaleur. Sans oublier les potentielles nouvelles proies ! En 1940, alors que son épouse Molly venait de rendre son dernier souffle des suites de l’absorption d’un cocktail explosif d’alcool, de morphine et d’héroïne, Josslyn, toujours à l’affût de chair fraîche, jeta son dévolu sur la magnifique et jeune épouse du plutôt décrépit et quasi retraité Sir John Delves Broughton. Diana Caldwell venait d’arriver au Kenya avec son vieux mari, leurs épousailles à peine scellées en Angleterre. Cette belle blonde de vingt-sept ans ne resta pas longtemps insensible aux appels du pied de l’étalon de la Happy Valley. Apparemment dénuée de tout sens moral, la jeune femme ne fit rien pour cacher sa liaison avec Josslyn, ridiculisant son mari aux yeux de toute la communauté européenne. Le couple illégitime projetait même de se marier rapidement, Sir John leur ayant, semble-t-il, donné sa bénédiction.

Liaison fatale

Tout semblait aller parfaitement bien quand, après quelques semaines de torride passion, un drame se produisit. Un matin de janvier 1941, le corps inanimé de Josslyn fut découvert dans sa voiture, à un croisement près de Nairobi. Il gisait là, assassiné par balle. Un temps suspectée en tant qu’ancienne maîtresse du défunt et donc par définition férocement jalouse, Alice de Janzé fut écartée au profit de Sir John Delves Broughton, rapidement accusé et mis en examen pour le meurtre du chéri de ces dames. Pendant son procès, son épouse Diana lui apporta son soutien. Couvrait-elle son vieux mari ? Ou avait-elle même été sa complice ? Nul ne sait pourquoi cette femme aux mœurs plus que légères, que certains voyaient même comme une lesbienne qui s’ignore, agit ainsi.

Ménage à trois

Aucune preuve matérielle n’ayant pu être retenue contre lui, Sir John Delves Broughton fut acquitté. La sulfureuse Diana divorça rapidement de lui, pour épouser un homosexuel notoire, Gilbert Colville, l’un des plus riches et puissants propriétaires terriens du Kenya. Quelques années plus tard, elle divorça de nouveau pour épouser un autre habitué de la Happy Valley, Lord Delamere. À la fin de sa vie, elle formait un ménage à trois avec son époux et sa propre maîtresse. Quant à Sir John Delves Broughton, rejeté par ses anciens amis du Kenya, il rentra la queue entre les jambes en Angleterre. Il y mourut en 1942 d’une overdose de morphine.

Tous ces protagonistes, et notamment l’histoire de la mort mystérieuse de Josslyn Hay, ont été parfaitement décrits dans le film White Mischief (Sur la route de Nairobi), réalisé en 1987 par Michael Radford, avec la magnifique Greta Scacchi dans le rôle de la scandaleuse Diana Broughton. Sans oublier Idina, Alice, Joss, et les autres. Ce long-métrage est lui-même basé sur le livre éponyme de James Fox.