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George Gershwin, le génie du jazz

 

 

George Gershwin devint en l’espace de quelques années l’une des plus grandes stars de la scène musicale des années 1920, non seulement aux États-Unis, mais aussi dans le monde entier. Grand réconciliateur de genres très différents, cet autodidacte extrêmement doué mêlait avec génie et grand talent le jazz, les chansons populaires et la musique classique, comme en témoigne notamment son fameux opéra Porgy and Bess. Celui dont les chansons furent interprétées par les plus grands, dont Ella Fitzgerald, Billie Holliday, Frank Sinatra ou encore Aretha Franklin, mourut subitement à trente-huit ans, laissant derrière lui une trace indélébile et une place éternelle au Panthéon des artistes d’exception.

Un goût immodéré pour la musique

George Gershwin naquit Jacob Gershowitz le 26 septembre 1898 à Brooklyn, le deuxième fils de Rose (née Roza) et Morris (né Moishe), un couple de Juifs russes arrivés à Ellis Island depuis Saint-Pétersbourg au début des années 1890. Le petit garçon se prit de passion pour le sport avant de découvrir la musique et de développer un goût immodéré pour elle à l’âge de dix ans, lorsqu’il assista au concert de violon d’un camarade de classe.

Des capacités hors normes

Quand ses parents offrirent un piano d’occasion à son frère aîné Israel, dit Ira, George s’appropria l’instrument. Le jour où il joua de mémoire un morceau qu’il avait entendu interprété par son voisin, ses parents décidèrent de lui offrir des leçons. Pourtant, ils étaient loin de rouler sur l’or et avaient entre-temps eu un autre garçon ainsi qu’une fille. Pendant deux ans, George Gershwin suivit des cours avec plusieurs professeurs, avant d’être pris sous l’aile de Charles Hambitzer. Pour ce dernier, le garçon était un véritable génie qui allait connaître une grande réussite. Le pianiste était si impressionné qu’il décida de s’occuper de lui gratuitement. Puis George poursuivi son développement musical et artistique avec plusieurs compositeurs, dont Henry Cowell et Wallingford Riegger.

Tout pour la musique

La musique serait donc la raison de vivre du jeune adolescent, qui ambitionna même un moment de devenir pianiste concertiste. Sans le décourager dans ses élans, ses parents lui firent part de leur souhait qu’il assure ses arrières en apprenant un « vrai » métier. Ils l’inscrivirent donc dans une école de comptabilité. Mais rattrapé par sa vocation, le jeune homme quitta finalement l’école à l’âge de quinze ans pour jouer dans des dancings new-yorkais ainsi que dans un magasin, où il interprétait des airs populaires au piano pour promouvoir et vendre les partitions correspondantes ou accompagner des chanteurs amateurs. C’était un travail laborieux et long, passé à parcourir incessamment les touches du clavier dans une petite cabine.

Des capacités tous azimuts

À force de jouer comme un stakhanoviste pendant trois ans, George Gershwin gagna énormément en dextérité et développa ses capacités de composition, d’improvisation et de transposition. Il se fit même sa propre clientèle et son employeur lui demanda de faire graver ses improvisations sur des rouleaux de piano mécanique. Et pour arrondir encore davantage ses fins de mois, il travailla comme répétiteur pour des chanteurs de Broadway. En 1916, When You Want ‘Em, You Can’t Get ‘Em; When You Have ‘Em, You Don’t Want ‘Em fut sa première chanson publiée.

Célèbre à 21 ans

En 1919, à vingt et un ans, George Gershwin connut soudain la célébrité, à la faveur d’une chanson, Swanee, qu’il écrivit pour la comédie musicale Sinbad, et que la grande star de l’époque, Al Jolson, interpréta. Il s’en vendit plus de deux millions de disques et un million de partitions ! La même année, il composa pour la première fois l’entièreté des morceaux d’un nouveau spectacle, La La Lucille, puis composa une œuvre pour quatuor à cordes, Lullaby.

Rhapsody in Blue

À partir des années 1920, influencé par l’œuvre d’Irving Berlin et de Jerome Kern, le jeune homme commença à composer pour une production musicale annuelle à Broadway. Le chef d’orchestre lui demanda un jour de composer un morceau de jazz pour donner ses lettres de noblesse à ce style de musique balbutiant et alors peu respecté par les aficionados du classique. Cette requête resta dans un coin de sa tête puis il l’oublia, jusqu’au jour où il tomba sur une publicité pour le spectacle à venir, mettant en avant « une nouvelle composition de Gershwin ». Pris de panique, George se mit frénétiquement au travail pour respecter les délais. Et c’est ainsi qu’il donna naissance en 1924 à son œuvre la plus emblématique, en tout cas la plus connue, Rhapsody in Blue

Une inspiration prolifique

Après ce grand succès critique, le musicien se consacra à un nouveau projet de comédie musicale, Lady Be Good, avec Fred Astaire et sa sœur Adele, dont toutes les paroles furent écrites avec Ira. Elle reçut un accueil phénoménal, dont la rengaine Oh, Lady Be Good. Pendant cette décennie et la suivante, l’inspiration ne quitta pas un instant Gershwin, qui écrivit de nombreuses chansons, très souvent avec son frère — qui adorait jouer avec les mots —, dont les fameux Someone to Watch Over Me, Somebody Loves Me, The Man I Love, Stairway to Paradise, I Got Rhythm, ou encore Embraceable You.

L’amour de sa vie

En 1925, le musicien, qui appréciait particulièrement les charmes de la gent féminine, fit la rencontre de la femme de sa vie. Cependant Kay Swift était déjà mariée… Elle finit par divorcer de son mari neuf ans plus tard, en partie en raison de son aventure prolongée avec le compositeur, qui demandait souvent l’avis de sa dulcinée à propos de son travail. Même s’ils restèrent ensemble jusqu’à la disparition tragique et soudaine de George, ils ne se marièrent jamais, car Rose Gershwin n’appréciait pas la non-judéité de sa quasi-belle-fille…

Un Américain à Paris

À la fin des années 1920, George Gershwin entama une grande tournée européenne, qui le vit se produire à Londres, à Vienne et à Paris. Il s’installa même quelque temps dans la capitale parisienne pour étudier auprès de Nadia Boulanger, un grand professeur et compositeur français qui fut le mentor de nombreux musiciens très connus. Cependant, elle refusa la demande du jeune homme, arguant que son enseignement de la musique classique gâcherait son style très teinté de jazz. Pendant son séjour, Gershwin composa en 1928 le fameux Un Américain à Paris, œuvre qui inspira Vincente Minnelli en 1951 pour sa comédie musicale éponyme, avec Gene Kelly et Leslie Caron. Le morceau fut présenté pour la première fois à Carnegie Hall. Peu de temps après, George regagna son pays natal.

L’ambition ou Porgy and Bess

En 1935, le compositeur s’attela à son œuvre la plus ambitieuse après Rhapsody in Blue : un opéra, Porgy and Bess, dont l’histoire est basée sur le roman Porgy, de DuBose Heyward, et se passe en Caroline du Sud, dans un quartier pauvre peuplé de Noirs. Afin d’optimiser encore sa créativité et son inspiration, George s’isola quelque temps sur une île avec l’auteur du roman et Ira. Dans sa partition, le compositeur laissa s’exprimer des accents à la fois populaires, afro-américains et classiques, qualifiant son travail d’« opéra folk ». Même si Porgy and Bess ne reçut pas immédiatement un accueil critique triomphal, cette œuvre — qui compte des airs aussi célèbres que Summertime ou It Ain’t Necessarily So — est aujourd’hui considérée non seulement comme la composition la plus compliquée de Gershwin, mais aussi l’une des plus importantes partitions musicales américaines du XXe siècle.

Consécration hollywoodienne

L’année suivante, approché par le studio RKO, Gershwin prit le chemin d’Hollywood, où il signa la musique de la comédie musicale Shall We Dance, avec Fred Astaire et Ginger Rogers — avec notamment They Can’t Take That Away from Me, qui lui valut sa seule et unique nomination à l’Oscar de la meilleure chanson originale en 1937. Alors qu’il entamait son travail sur un autre film The Goldwyn Follies, l’existence jusque-là sans nuages du musicien traversa une tempête dont il ne se remit pas.

Tumeur fatale

Au début de l’année 1937, George commença en effet à souffrir de symptômes bizarres : outre des migraines carabinées, il sentait des odeurs étranges et avait des pertes soudaines de mémoire. Début juillet, ses capacités motrices faiblirent et il perdit énormément de poids. Le compositeur ne pouvait plus marcher sans assistance. Peu de temps après, il sombra dans le coma. C’est alors seulement que les médecins découvrirent que le musicien était atteint d’une tumeur au cerveau. Il mourut sur la table d’opération le 11 juillet 1937, laissant le monde musical sans voix. Il n’avait pas encore trente-neuf ans.

Un génie de la mélodie

Doté d’une personnalité charismatique et extrêmement sociable, George Gershwin se montrait optimiste et exubérant en public, alors qu’il traversait parfois des périodes de dépression et d’anxiété en privé, qui lui causaient de profonds troubles. Ces désagréments semblaient liés à son travail et à sa créativité. Pourtant, il fut (et reste) considéré comme un génie de la mélodie et de l’harmonie. Et en dépit de sa disparition bien trop précipitée, il connut dès son vivant un statut de grand compositeur. D’après l’un des grands musicologues de l’époque, Hans Keller, « Gershwin [était] un génie. En réalité, son style cache la richesse et la complexité de son inventivité. Il y a certes des points faibles, mais qui s’en préoccupe quand il y a de la grandeur ? ».