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Quand je bâille, je ne baye pas (aux corneilles)
 

 

Saviez-vous que dans l’expression « bayer aux corneilles », le verbe « bâiller » n’a jamais eu sa place ? (Ni d’ailleurs le beaucoup moins connu et tombé en désuétude « bailler ».) Ce n’est donc pas d’une faute d’orthographe, mais bien d’un autre mot qu’il s’agit ici. « Bayer », qui est cependant bien un homonyme de « bâiller », signifie en effet « avoir la bouche ouverte ». (Je vous l’accorde, pour bâiller, on est obligé de bayer, mais la comparaison s’arrête là !)

Quant aux fameuses corneilles, au moment où cette expression est apparue, c’est-à-dire il y a plusieurs siècles de cela, elles pouvaient désigner plusieurs choses différentes : l’oiseau, bien sûr ; mais aussi le fruit du cornouiller, un arbuste qui offre chaque année à la nature une floraison magnifique ; ou encore des objets ou des choses sans importance. Ainsi, quand on parlait de « voler pour corneille », cela voulait dire que l’on chassait un gibier qui ne valait rien.

Des grues aux corneilles

Alors, qu’en déduisez-vous sur la signification de « bayer aux corneilles » ? Il s’agit tout simplement de désigner l’action de rêvasser, de perdre son temps en regardant en l’air, ou encore de rester sans rien faire, la bouche ouverte. On se demande quand même bien ce que les corneilles viennent faire ici…

 

Eh bien pour résoudre ce mystère, il faudrait déjà savoir laquelle parmi les trois acceptions citées plus haut est la bonne. Apparemment, à l’époque où cette expression était « in », donc à partir du XVIIe siècle, on disait aussi « bayer aux grues ». Alors non, il ne s’agit pas des péripatéticiennes (comme aurait dit ma grand-mère), mais bien des oiseaux, évidemment !

De la corgnole aux corneilles

Donc si l’on part du principe qu’à une certaine époque, revenir de la chasse avec pour seul butin des corneillesétait considéré comme une bien piètre performance, l’on comprend mieux le lien aviaire avec notre fameuse expression.

D’aucuns accordent une tout autre origine à « bayer aux corneilles » : dans le patois d’Auvergne, de Bourgogne et du Dauphiné, on parlait de « corgnole » pour désigner la gorge, le larynx ou le gosier. « Bayer la corgnole » voulait donc dire « avoir la bouche ouverte ». Par déformation, la corgnole se serait transformée en corneille… Comme quoi, l’habit ne fait pas le moine !