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Veronica Lake, la vénus de poche

 

 

Une longue chevelure blonde et ondulée cachant lascivement une partie de son visage parfait. C’est grâce à cette signature capillaire que Veronica Lake, née Constance Frances Marie Ockelman le 14 novembre 1922 à Brooklyn, entra au panthéon des sex-symbols d’Hollywood, à seulement dix-huit ans. Morte il y a cinquante ans, elle fut l’une de ces nombreuses étoiles filantes de l’histoire du cinéma américain.

Direction Hollywood

Orpheline de père à dix ans — Harry E. Ockelman, employé d’une compagnie pétrolière sur un bateau, mourut en 1932 dans un accident industriel à Philadelphie —, Constance fut fortement poussée par sa mère vers les feux de la rampe. Pourtant, gravement traumatisée par le décès de son père, la jeune fille sombra petit à petit dans des problèmes comportementaux, victime de sautes d’humeur incompréhensibles. Diagnostic : schizophrénie paranoïde. Remariée à un photographe, Anthony Keane, la mère de la future star n’eut cependant de cesse de faire participer sa fille à des concours de beauté. Séduit, l’un des membres du jury d’une de ces nombreuses compétitions dit à Madame Keane que si jamais la famille décidait de partir un jour pour Hollywood, il ferait passer des essais à la future Veronica Lake. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Les Keane firent leurs valises. Direction la Californie.

Naissance du style « peekaboo »

Dès 1938, Constance passa des bouts d’essais à la MGM. C’est là qu’elle fit la connaissance de son futur mari, John Detlie, un des directeurs artistiques du studio. Finalement engagée par la RKO, elle tourna plusieurs films sans grand intérêt, avant de rejoindre la Paramount en 1941. Cette année-là, dans I wanted wings, elle fit sensation, volant la vedette aux premiers rôles. Son secret ? Une longue mèche de cheveux lui couvrant lascivement l’un des yeux. Le style « peekaboo » était né. Cette coiffure si caractéristique a inspiré Kim Basinger dans L.A. Confidential (1997) pour incarner son personnage. Dans cet extrait du film, elle évoque d’ailleurs Veronica Lake et une photo de l’actrice orne le mur.

Coiffure létale

Restait à trouver un nom plus glamour à la graine de star. Pendant le tournage de I wanted wings, Arthur Hornblow Jr, l’un des producteurs du film, décida que lake (« lac » en anglais) serait un patronyme idéal, car ses yeux étaient aussi bleus et placides que les eaux d’un lac. Il estima aussi qu’elle avait une tête à s’appeler Veronica ! Veronica Lake était née. En moins d’un an, elle devint une star, conquérant le public avec sa voix un tantinet rauque et sa coiffure si séduisante. Toutes les femmes se mirent en tête de lui ressembler. Or elles étaient nombreuses à participer à l’effort de guerre dans les usines américaines. Les cheveux non attachés y étaient donc persona non grata. Pourtant, certaines fans irréductibles résistèrent, prenant le risque de se blesser. Le gouvernement américain enjoignit toutes les femmes de ne pas mettre leur vie en danger et Veronica Lake tourna même un petit film de propagande la montrant en train d’opter pour une coiffure plus sage et totalement inoffensive !

Ma femme est une sorcière

Entre 1941 et 1943, Veronica devint un phénomène du box-office, enchaînant les succès, dont notamment I married a witch, de René Clair (qui inspirera la fameuse série des années 1960 Ma femme est une sorcière), Sullivan’s travels, de Preston Sturges (une magnifique fable sociale), So proudly we hail!, de Mark Sandrich, et surtout deux films noirs, This gun for hire, de Frank Tuttle, et The glass key, de Stuart Heisler. Elle y partageait l’affiche avec Alan Ladd. Le couple fit sensation. Avec son 1,51 m, Veronica était parfaitement assortie à cet acteur qui mesurait à peine quinze centimètres de plus. Ils tournèrent deux autres films ensemble.

Schizophrénie et fausse couche

Pendant cette période bénie sur le plan professionnel, Veronica enfanta une première fois : Elaine Detlie vit le jour en 1941. Cependant, son mariage battait de l’aile. En 1943, elle retomba enceinte, mais pas de son mari… Totalement désemparée, de plus en plus sujette aux troubles comportementaux liés à sa schizophrénie, elle tenta de provoquer une fausse couche en se jetant du haut d’une chaise sur le sol. 

Le petit Anthony naquit prématurément et mourut sept jours plus tard. Pour éviter un scandale, la Paramount inventa une chute de Veronica sur un câble en plein tournage. Le couple qu’elle formait avec John Detlie se délita et ils divorcèrent en décembre 1943.

L’ombre de la bouteille

Éternelle romantique, la jeune femme de vingt et un an se remaria dès 1944 avec le réalisateur d’origine hongroise André de Toth. Ce fut un coup de foudre… avant le tonnerre de la discorde. Dominateur, André était jaloux des revenus de son épouse, qu’il dépensait pourtant avec grand plaisir, mettant les finances du foyer en danger. Le couple eut deux enfants : Andre Anthony Michael III (1945) et Diana (1948). Pas vraiment faite pour élever des enfants, la jeune mère de famille se mit à boire plus que de raison. Sa personnalité difficile envenimait de plus en plus sa vie professionnelle, ses camarades de plateau n’hésitant pas à la qualifier de noms d’oiseaux peu sympathiques. Nombre de ses partenaires refusèrent même de travailler de nouveau avec elle…

Un sursaut de popularité

En 1944, Veronica Lake fit un premier faux pas, en acceptant le rôle d’une espionne nazie dans The hour before the dawn, de Frank Tuttle. Elle s’essaya ensuite de nouveau à la comédie, mais sans grand succès. Avec The blue dahlia, de George Marshall (1946), dont le scénario était signé Raymond Chandler et où elle retrouva Alan Ladd, elle connut un sursaut de popularité. Ce fut en réalité son chant du cygne. À vingt-sept ans, Veronica Lake était finie. Affront et humiliation suprêmes, sa propre mère lui intenta un procès quelques jours avant la naissance de sa fille Diana, pour absence de soutien financier. Son dernier film fut tourné en 1951, année où elle se déclara en faillite avec son époux. Ils divorcèrent l’année suivante. Veronica s’envola alors pour New York, heureuse de quitter Hollywood et tous ses faux-semblants. Tel un phénix, elle pensait renaître de ses cendres sur les planches ou devant les caméras d’un nouveau média si prometteur : la télévision.

Nouvel échec

Au cœur de la Grosse Pomme, Veronica Lake démarra une nouvelle carrière. Mais un troisième mariage désastreux stoppa net ce renouveau. En 1955, elle convola en justes noces avec un compositeur, Joseph Allan McCarthy, lui aussi très porté sur la bouteille. Las ! Ils divorcèrent à l’aube des années 1960. Après ce nouvel échec, la carrière de l’ancienne star était en lambeaux. Sans ressources, Veronica trouva refuge dans des hôtels miteux de New York. En 1962, un journal de Milwaukee retrouva sa trace. Elle était devenue serveuse à l’hôtel pour femmes Martha Washington, à Manhattan. Cette publicité involontaire lui permit de réapparaître brièvement et discrètement sur les écrans et les planches.

Mort solitaire

En 1969, Veronica Lake publia son autobiographie, où elle ne se pardonnait rien : ni son alcoolisme, ni ses ratages matrimoniaux, ni surtout son incapacité à élever ses enfants. Le livre se vendit bien, lui permettant de coproduire et jouer dans un film d’horreur de série Z, Flesh Feast, en 1970. Bouffie par l’alcool, les cheveux courts et la voix méconnaissable, celle qui avait fait rêver tant d’hommes et de femmes n’était plus que l’ombre d’elle-même… En 1972, elle dit « oui » pour la quatrième fois en Angleterre, à un capitaine de la Royal Navy, Robert Carleton Munro. Nouvel échec sur toute la ligne. Leur divorce fut prononcé l’année suivante. À l’aube de ses cinquante ans, Veronica retourna aux États-Unis. Rattrapée par le destin, elle tomba rapidement malade. Son alcoolisme avait eu raison d’elle. Elle mourut seule, le 7 juillet 1973, dans un hôpital du Vermont, d’une hépatite et d’une insuffisance rénale. Quand le coauteur de son autobiographie appela sa mère pour lui annoncer la mort de sa fille, celle-ci répondit : « Et alors ? »