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Carmen Miranda, la bombe brésilienne

 

 

Vous connaissez forcément ce fameux « tico tico » qui fit la gloire de la grande chanteuse portugaise de nationalité mais brésilienne de cœur, l’excentrique et haute en couleurs Carmen Miranda :

« O Tico-Tico tá

Tá outra vez aqui

O Tico-Tico tá comendo meu fubá

O Tico-Tico tem, tem que se alimentar

Que vá comer umas minhocas no pomar »

Vous avouerez que cet air, présenté dans le film Copacabana (1947) est hautement addictif, ce qui explique sans doute pourquoi tant d’artistes ont repris cette célèbre ritournelle.

Carmen de Bizet

Née Maria do Carmo Miranda da Cunha à Marco de Canaveses, au Portugal, le 9 février 1909, Carmen Miranda symbolise parfaitement l’esprit sud-américain des années 1940. Alors qu’elle n’était âgée que de quelques mois, son père, José Maria Pinto da Cunha, décida de quitter leur pays natal pour tenter sa chance à Rio de Janeiro. Il y ouvrit un salon de coiffure, bientôt suivi en 1910 par son épouse, Maria Emília Miranda et leurs deux filles, Olinda et sa petite sœur Maria do Carmo. Grand amateur d’opéra, José Maria surnomma un jour sa cadette Carmen, du nom de l’œuvre éponyme de Bizet qu’il aimait tant. Au Brésil, la famille s’agrandit jusqu’en 1916 de quatre frères et sœurs : Amaro, Cecilia, Aurora et Oscar.

Rêve de show business

L’amour de José Maria pour l’opéra influença fortement ses enfants, dont la future Carmen Miranda, qui s’essaya au chant et à la danse dès son plus jeune âge. La jeune fille rêvait de faire carrière, au grand dam de son père, qui n’approuvait pas du tout ses ambitions artistiques. Carmen fut scolarisée au couvent Sainte Thérèse de Lisieux, ce qui n’altéra nullement son envie de percer dans le show business, avec l’appui secret de sa mère. Ainsi quand la jeune fille participa à un radio crochet, la nouvelle ne fut pas du goût de son père, qui frappa durement sa femme en guise de représailles…

Une forte ambition musicale

En 1923, la vie de l’adolescente prit un tour beaucoup plus sérieux. Sa grande sœur Olinda, souffrant de tuberculose, fut envoyée au Portugal pour y être soignée. À quatorze ans, Maria do Carmo dut travailler dans un atelier fabriquant des cravates pour aider financièrement sa famille, qui avait des factures médicales importantes à honorer. Elle apprit ensuite le métier de modiste dans une boutique qui l’employait, puis se mit rapidement à son compte, créant ses propres chapeaux. Pourtant, son ambition musicale la taraudait toujours. Son entrée prématurée dans la vie adulte n’avait pas tué en elle le rêve de devenir un jour une artiste.

Pierre précieuse brésilienne

La patience de Carmen Miranda fut récompensée en 1929, quand elle fit la rencontre déterminante de sa vie : celle du compositeur brésilien Josué de Barros. Séduit par sa voix, il lui ouvrit les portes d’une maison de disques allemande, Brunswick. Dès l’année suivante, Carmen Miranda était surnommée « la pierre précieuse brésilienne » ! En 1933, elle signa un contrat de deux ans avec une radio, une première dans le pays. L’année suivante, c’est RCA qui la mit sous contrat. Le succès se confirma. Parallèlement, la jeune femme fit ses premiers pas devant une caméra pour un documentaire en 1933, puis quelques films, la plupart musicaux. En 1939, elle apparut pour la première fois coiffée d’un chapeau de bananes, un couvre-chef qui resta sa marque de fabrique jusqu’au bout.

Visite à la Maison Blanche

La même année, le directeur de théâtre et producteur new-yorkais Lee Shubert la découvrit lors d’un voyage à Rio. Il la signa avec son orchestre Bando da Lua. La jeune Brésilienne rejoignit les États-Unis à bord du SS Uruguay à la mi-mai. À peine un mois plus tard, elle fit ses premiers pas sur la scène américaine, face à Abbott et Costello, un duo de comiques très populaire en Amérique. Même si son texte était très court, elle fit sensation. Le président Franklin D. Roosevelt demanda même à la rencontrer peu de temps après à la Maison Blanche !

Un contrat de cinq ans

L’année 1940 marqua le démarrage de la fulgurante mais courte carrière cinématographique de Carmen Miranda à Hollywood. La Twentieth Century Fox lui confia un second rôle dans « Down Argentine Way », d’Irving Cummings, dans lequel la star en devenir Betty Grable, future idole des GI stationnés dans le Pacifique et en Europe, faisait aussi ses débuts. L’accueil réservé à la jeune chanteuse, qui y jouait son propre rôle, fut si exceptionnel, que le studio de Darryl F. Zanuck lui proposa un contrat de cinq ans (1941-1946).

 

Bimbo latina

Alors qu’elle était adulée aux États-Unis, Carmen perdit rapidement de sa superbe dans son pays d’adoption. Au Brésil, même si son premier retour, en juillet 1940, fut triomphal, certaines mauvaises langues lui reprochèrent d’avoir cédé aux sirènes d’Hollywood et du mercantilisme si cher aux Américains, voire de donner une image négative du Brésil. D’autres n’acceptaient pas qu’elle véhicule une image de « bimbo latina ». Par conséquent, quand elle se produisait et qu’elle chantait ou prononçait quelques mots d’anglais, le public se taisait, ou pire, la huait. Meurtrie, Carmen regagna les États-Unis pour y poursuivre sa carrière cinématographique.

Prisonnière de son image

Affublée de couvre-chefs de plus en plus extravagants, dont le fameux « multifruits » — « The lady in the tutti-frutti hat » dans « The Gang’s all here », une féerie de 1943 mise en scène par Busby Berkeley — Carmen ne put jamais se détacher des rôles du même acabit, à jamais prisonnière de son image de chanteuse exotique, stéréotype de la Sud-Américaine extravertie, roulant les « r », juchée sur des sandales à talons vertigineux compensés, et moulée dans des robes excentriques aux couleurs flamboyantes. Pourtant, ces rôles firent sa fortune : en 1945, elle affichait un salaire mirobolant, faisant d’elle la contribuable la plus taxée et l’artiste d’Hollywood le mieux payé de l’année !

Sur la pente descendante

Après la Seconde Guerre mondiale, le public se lassa des bananes et des chanteuses à l’accent roucoulant. Alors que son contrat avec la Fox touchait à sa fin en 1946, Carmen Miranda, sur la pente descendante, perdit petit à petit l’équilibre du haut de ses talons aiguilles. Mariée en 1947 avec un producteur de films, David Alfred Sebastian, la star perdit leur enfant lors d’une fausse couche l’année suivante. Le couple se sépara brièvement en 1949, avant de se réconcilier. Décidée à retrouver le succès, Carmen signa avec Universal, qui, alors en train de fusionner avec un autre studio, ne put malheureusement pas la faire tourner. Jusqu’en 1953, elle joua tout de même dans quelques films sous la bannière d’autres studios comme United Artists (« Copacabana », avec Groucho Marx), la MGM (« A Date with Judy » et « Nancy Goes to Rio » en 1950), ou encore la Paramount (« Scared Stiff » en 1953) pour ce qui s’avéra être son dernier film.

Burn-out

Toujours excellente chanteuse, Carmen Miranda tenta de relancer sa carrière en revenant à ses premières amours, les disques. Entre 1948 et 1950, elle enregistra trois opus pour Decca avec le trio dynamique des Andrews Sisters. Le délabrement nerveux et physique, conséquence de son goût prononcé pour la bouteille, les barbituriques et autres amphétamines, eut pourtant raison d’elle. En octobre 1953, lors d’une tournée pendant laquelle elle se produisait en Europe puis aux États-Unis, elle s’écroula sur la scène d’une salle de spectacle d’Ohio. Diagnostic : épuisement. Les autres dates de sa tournée devant être annulées, Carmen retourna au Brésil sur les conseils de son médecin pour s’y reposer. Le public lui réserva cette fois un accueil chaleureux.

Enterrement à Rio

Fragile, toujours en proie aux démons de l’addiction alcoolisée et des paradis artificiels, la chanteuse de quarante-six ans ne résista pas à ce cocktail explosif. Son cœur céda le 4 août 1955 à Los Angeles, où elle s’était rendue en avril, le lendemain du tournage de l’émission de télévision « The Jimmy Durante Show ». Conformément à ses dernières volontés, sa dépouille fut rapatriée par avion au Brésil et enterrée au cimetière Saint Jean-Baptiste de Rio de Janeiro. Le gouvernement décréta une période de deuil et plus de soixante mille personnes se déplacèrent pour lui rendre un dernier hommage lors d’une cérémonie organisée à la mairie.

Deux musées

Précurseur du mouvement culturel brésilien Tropicalisme ou « tropicália », né en 1967, suite au coup d’État de 1964, Carmen Miranda est restée gravée dans la mémoire des fans de comédie musicale et d’exotisme à la salsa latina. Deux musées rendent hommage à sa gloire à Marco de Canaveses et Rio de Janeiro. Pour en savoir plus sur sa courte mais intense vie, et sa personnalité hors du commun, ce documentaire de la BBC vous renseignera.